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Ancrage

Les Monts-d'Arrée en août 2009

Les Monts-d’Arrée en août 2009 (photo Joël Coatmeur)

«II est banal de définir le récit policier comme un roman de la ville. Mille regrets, je ne suis donc pas de la paroisse ! Simple constat et non profession de foi, et je m’exprime sous ton contrôle, ami inconnu, puisque tu me fais la grâce de me lire : je ne suis pas un « romancier de la ville », si le terme désigne les métropoles tentaculaires, je ne sais rien, je ne sens rien de leur faune, de leurs mœurs, de leurs fièvres.

Mon royaume est ailleurs. J’ai poussé dans le terreau armoricain, j’en ai absorbé les sucs et les vertus, et bien avant de m’abreuver à la fontaine Castalie, j’ai bu le feu aux étangs de Brocéliande.

Je ne me classe point pourtant parmi les écrivains régionalistes. Il en est d’excellents et de nécessaires et que j’admire. Je n’en suis pas. Loin des approximations hâtives dont on affuble quelquefois mon œuvre, tu n’ignores pas, ami, que les thèmes que j’aborde ne sont pas spécifiquement breton, ni que près de la moitié de mes histoires se déroulent hors de nos frontières. Ce qui du reste souligne, a contrario, la place éminente qu’y occupe le petit pays.

Ayant vu le jour à Pouldavid-sur-Mer, aux barrières de l’antique Ker-Is, j’ai jeté l’ancre à Brest il y a quelque quarante-cinq ars, et j’en ai fait mon port d’attache. Quoi de surprenant dès lors, qu’il m’arrive souvent de tremper ma plume dans l’eau salée et que trois de mes ouvrages les plus marquants aient pour décor principal la couronne littorale de la cité du Ponant ? J’avoue même une faiblesse tenace pour son port de commerce, il ne me paraît pas ridicule de déceler, entre le fouillis gris de ses docks, de ses silos, de ses bassins sous la pluie et la complexité d’un tempérament que l’on dit tourmenté, une essentielle connivence.

Mais la mer, qui entoura mon berceau et demeure ma compagne, n’est pas la seule inspiratrice. Le monde rural, lui aussi, a fortement irrigué mes jeunes années, ma mémoire est riche d’escapades buissonnières par les champs et les garennes odorantes, l’été, quand chantaient sur les chaumes les batteuses du soir, et cette source non plus n’est pas près d’être tarie.

Un site entre tous fascine à l’évidence l’auteur, qui y a conduit ses personnages à plusieurs reprises, tu l’auras relevé, mon ami : les Monts-d’Arrée. À l’image de l’émotion que ressentit l’enfant de Pouldavid en découvrant dans ces espaces de tourbières, de landes, de roc, où semble s’être réfugiée l’âpre authenticité des origines, une autre approche de l’infini.

Et lorsqu’enfin les contraintes du sujet m’écartent des marches de l’Ouest, nul doute que j’emporte dans ma besace, avec la poussière de la glèbe domestique, mes frémissements d’âme et mes nostalgies, mon incurable prétention à parer le réel des couleurs du rêve, ma perméabilité naïve aux sortilèges du mystère. Tels sont les signes de la race : on ne naît pas Celte impunément !

Je ne braderai pas l’héritage. Lecteur, mon ami, reçois ma promesse : aussi longtemps qu’il plaira à Dieu, je continuerai à tisser mes songes sur ma terre de brume, libre, tranquille, en bon voisinage avec les deux immensités familières, celle de l’océan, celle des solitudes hantées, au cœur des montagnes là-bas… »

Jean-François Coatmeur
Lettres du Ponant – Mars 1999

[Mise à jour : 29 juillet 2022]