Un enfant de Pouldavid
Par Jo de Douarnenez
Jean-François Coatmeur n’est pas de Douarnenez… il est de Pouldavid. N’a-t-il pas dédié son avant-dernier roman L’Ouest barbare « A Pouldavid, mon village qui n’existe plu s» ? Et quand, lors d’un débat organisé par la librairie Dialogues à Brest en juin 2012, il lui est demandé ce que représente pour lui Pouldavid, ne répond-il pas : « Tout, ou presque tout » ? Quand on défigure l’anse de son enfance, il s’indigne n’hésitant pas à user de mots forts : « C’était un petit port de pêche, ce n’était pas seulement un quartier. Mais le crime a été plus tard, je le prononce le mot crime parce c’est un crime contre mon enfance, bien sûr, ce n’est pas très grave, mais c’est un crime contre la mer puisque on a exproprié la mer là où il y avait une anse, terrain de jeu extraordinaire pour les gosses à marée haute. C’était un plan d’eau extraordinaire. Je ne suis pas spécialiste. Il y avait des raisons sans doute très puissantes et sans doute aussi beaucoup d’intérêts… On a fait quelque chose d’impardonnable.» (voir 5 questions à Jean-François Coatmeur, 22 juin 2012).
Jean, François, Marie Coatmeur est né le 26 juillet 1925 à Pouldavid, donc, commune indépendante jusqu’à fusion avec Douarnenez en 1945. Précisément au 5 rue Laennec, rue poussiéreuse en pente qui se jette dans la rue du Couédic . Du jardin, derrière la maison, on aperçoit l’église Saint-Jacques. Chez les Coatmeur, la religion, catholique, est plus qu’une croyance, une institution.
Son père, Jean, issue d’une famille très modeste, est livreur de bière. Après son service militaire et une « relève » , il est mobilisé à 25 ans et ne sera libéré que le 14 juillet 1919. Jeune homme, il lisait volontiers Le Sillon .
Sa mère, Camille Le Guellec, est issue d’une famille plus aisée et au catholicisme plus traditionnel. Lors de l’expulsion des congrégations, son père François refusera que sa fille s’inscrive à l’école de la République. Atteint d’un cancer, il meurt précocement laissant sa famille sans revenu, avec la maison pour unique bien. Camille, sera alors fille d’usine. Fiancée avec Jean Coatmeur avant la guerre, elle se marie avec lui en septembre 1919. Elle a 26 ans, son époux 31.
A sa naissance, Jean, qui enfant sera surnommé Jeannot, a une grande sœur, Marie-Thérèse, de quatre ans son ainée. « Ces quatre années qui nous séparent vont peser très lourd. Trop âgée pour que puisse s’établir entre, nous une véritable complicité, elle a déjà ses relations et ses centres d’intérêt à elle, elle est et restera pour moi la grande sœur, dont on cite à plaisir les succès scolaires et qui caracole loin devant moi, inaccessible. » (L’âge d’or, Juillet 2015 – Texte inédit.). Enfant blond, rondelet, il multipliera les maladies « J’apprendrai plus tard que j’ai été souvent alité au cours de la petite enfance (…) En un temps où l’on regardait à deux fois avant de déplacer le médecin, le docteur est venu à domicile à de nombreuses reprises » (L’âge d’or).
L’école communale, jusqu’au certificat d’études, se sera à Pouldavid. La maternelle, longtemps « hébergée » à l’école des filles, à quelques dizaines de mètres de la maison familiale. « Il nous fallait emprunter l’étroit raidillon pompeusement baptisé « rue de la liberté », création peut-être d’un édile facétieux, qui partait de l’angle de la maison et longeait notre jardin. » (L’âge d’or). Puis, l’année suivante, descente à l’école des garçons. Une première maîtresse, Mme Quillivic, puis un maître Mr Mével. Avec la venue des rédactions, l’enfant connaît ses premiers succès : souvent son travail est récompensé de « Bons points » et, surtout de la lecture de son texte par le maître à l’ensemble des élèves. A onze ans, premier émoi littéraire. Le maître fait lire aux élèves un texte de Maupassant : « C’’est un paysan qui rentre de la foire du marché. Il s’installe, il est seul dans la grande cuisine qui va prendre un pain dans la huche, un pain fariné ; il découpe une grande tranche, il étale du beurre. (…) J’ai eu cette réflexion comme c’est admirable ! (…) J’ai eu le sentiment que le fait d’être écrivain était vraiment extraordinaire. » (Interview à RCF Rivages. Comment je suis devenu écrivain)
Bien entendu, durant ces années Jean est enfant de chœur.
Quand il a son certificat d’étude, les enseignants poussent les parents pour que le bon élève qu’il est poursuive ses études. Les parents ne sont pas riches et, en ce temps, les études coutent chers, surtout dans l’enseignement privé catholique. La sœur Marie-Thérèse intercède pour son frère : elle étudie aux Saint-Anges, et va avoir son Brevet supérieur. Ensuite, elle travaillera et son salaire aidera la famille. C’est alors décidé : Jean va entrer en 6ème à Pont-Croix, au Petit Séminaire. Ce seront sept années studieuses où il va multiplier les prix d’excellence… et apprendre la face obscure de l’Église catholique. L’adolescent sera longtemps marqué par ces années (dont les années de guerre) passées dans cet univers rigide et où il découvrira une certaine connivence entre l’Église catholique et les pouvoirs séculiers. Toute sa vie, l’adulte assumera l’opposition entre une croyance et une pratique religieuse régulière avec une réserve forte envers certains comportements de la hiérarchie catholique. Régime stricte de la pension, Jean ne retrouvera sa famille et son Pouldavid chéris qu’à la faveur des vacances : Noël (libération après la messe de minuit), Pâques et été.
« Mon Dieu, comme j’ai pleuré les premiers soirs dans le vaste dortoir impersonnel sous la lueur funèbres des veilleuses ! (…) Au Petit séminaire, de la 6ème à la Philosophie, j’ai été un pensionnaire comme les autres. Un reclus sans histoire, qui pourtant n’a jamais accepté sa prison. Pourquoi ne m’en suis-je pas évadé ? J’avancerai deux explications. Tout d’abord, une détermination farouche : ne pas décevoir mes parents, si fier de m’avoir, au prix de quels sacrifices, ouvert la voie royale. Et puis, l’amour propre, le panache, le refus d’admettre l’échec. (…) Que saint Vincent me pardonne, je ne cacherai pas certaines pratiques sui-generis qui me sont restés en travers de la gorge. Et en premier lieu, dans cette maison emblématique de la religion, la connivence de fait avec l’injustice sociale. » ( Mon petit séminaire, récit par Jean-François Coatmeur – Bretagne Magazine. Voir le texte intégral du récit)
En juin 1944, il obtient son Bac Philo. Le 5 août suivant c’est le drame : la guerre s’achève, mais les troupes allemandes battant en retraite sont nerveuses et après des escarmouches avec la résistance, arrêtent plusieurs hommes à Pouldavid. Jean, qui voulait gagner la campagne avec sa famille, est mis en joue et rejoint un groupe d’autres personnes raflées, alignés rue du Couedic, à un jet de pierre de la maison familiale. Sept heures interminables à attendre, le salut ou la mort… Finalement, un camion militaire s’arrête, les soldats de la Wehrmacht rangent leurs armes et partent (Voir le témoignage de sa sœur Marie-Thérèse) . De cet épisode, 47 ans plus tard, il s’inspirera pour écrire son seul roman non policier : Les croix sur la mer.
Mais en été 1944, le jeune homme est également troublé, perturbé par une autre question sur son devenir. Élève brillant, après sept années de Petit séminaire, ne doit-il pas intégrer à la rentrée de septembre le Grand séminaire avec pour objectif la prêtrise ? Satisfaction de ses parents, Jean n’a-t-il pas une tante maternelle religieuse et trois cousins (côtés paternel et maternel) prêtre ? La soutane de séminariste est déjà achetée quand Jean confie à sa mère ses doutes sérieux quant à sa vocation… Bienveillants papa et maman Coatmeur ne pressent pas leur garçon, et finalement décision est prise d’une inscription à la faculté catholique d’Angers pour une licence de lettre classique. Puis ce sera un Diplôme d’études supérieures de lettres à Rennes et la réussite au concours du C.A.E.C qui lui permet de devenir professeur de lettres classiques : Français-Latin-Grec.
Durant les années 1940, Jean intègre avec sa sœur le Cercle celtique de Douarnenez qu’il dirigera après quelques années. Il y anime aussi une chorale. C’est dans ce cadre qu’il rencontre la jeune Josette Beyer, de trois ans sa cadette, fille du directeur de la Biscuiterie de Bretagne de la rue Louis Pasteur. La jeune fille est séduite par le charme du jeune homme qui lui déclarera finalement sa flamme par une lettre très vieille France : « Veux-tu devenir ma Grande amie ? ». Ils se marient le 15 avril 1952 et auront une fille unique Jehanne en janvier 1953.
Le virus de l’écriture
Très tôt donc, Jean a ressenti un gout, une attirance pour l’écriture. « Ce goût de l’écrit et de l’écriture. Je l’ai gardé pendant toutes mes études secondaires, mes études supérieures. Et puis peu à peu, j’ai écrit des petits textes. Mais rien ne laissait présager la suite, bien sûr. » (Interview à RCF Rivages. Comment je suis devenu écrivain). Il s’investit énormément dans son métier d’enseignant (organisant par exemple des sorties extra-scolaires avec ses élèves en y associant même sa jeune épouse). Alors, c’est principalement pendant les vacances, et surtout les « Grandes vacances » passées en famille dans la maison de Pouldavid qu’il commence sérieusement à écrire. Les premiers résultats concrets seront une pièce de théâtre Et tout le reste est nuit…, inspirée de la légende de la ville d’Ys puis une pièce radiophonique pour Radio-Rennes diffusée le 24 avril 1956 sous le titre Le bon dieu avec nous, inspiré d’un crime survenu à Pouldavid.
Fort de ce premier succès, il se remet au travail avec l’écriture en parallèle de deux romans : un autobiographique, L’Infirme (qui restera inédit) et un policier Que la terre te soit légère. Ce dernier est refusé par plusieurs éditeurs. C’est à cette époque en 1957, que Jean commence une correspondance qui va durer jusqu’à fin 1976 avec Thomas Narcejac , auteur à succès de romans policiers en duo avec Pierre Boileau, qui va le conseiller, l’encourager dans les moments de doute (Voir la correspondance Narcejac à Coatmeur, 1957-1976)
Suivant les conseils de Narcejac, Jean se remet à l’ouvrage et remanie, profondément son roman policier rebaptisé Cadavres et carnaval. Le Masque l’accepte demandant toutefois des corrections. Le roman sera finalement publié sous le titre Chantage sur une ombre de Jean-François Coatmeur. Bien entendu, c’est à Douarnenez, pendant la semaine des Gras que se déroule ce premier opus.
Le style Coatmeur va alors petit à petit se mettre en place à travers 24 romans policiers, un roman, de nombreuses nouvelles : une intrigue solide et multiple à la fois, un profil psychologique des personnages de plus en plus fouillé, un souci du détail, notamment en ce qui concerne les lieux où se déroule l’action. Concernant les lieux, Jean-François Coatmeur choisi toujours un endroit connu. Ce sera Douarnenez pour les deux premiers romans, des lieux de vacances : Royan pour Baby-Foot (vacances étés 1968 et 1969), Aurillac pour Le Squale (vacances à plusieurs reprises chez des amis à Espalion) … L’Afrique (Abidjan), où il a passé cinq ans entre 1958 et 1963 lui a donné l’univers de J’ai tué une ombre (1967) … Douarnenez et Brest (où il habite depuis son retour de Côte d’Ivoire) resteront les deux villes privilégiées. Six romans à Douarnenez : Chantage sur une ombre (1963), Nocturne pour mourir, (1964), La voix dans Rama (1973), Des croix sur la mer (1991), Une écharde au cœur (2010), L’Ouest Barbare (2012).Six romans à Brest : Les sirènes de minuit (1976), La nuit rouge (1984), Escroquemort (1992), Des feux sous la cendre (1994), La fille de Baal (2005), Les noces macabres (2016).
Les sirènes de minuit, sera son plus gros succès : Grand prix de la littérature policière 1976, le roman sera adapté pour une série télévisée avec Philippe Léotard. Plusieurs autres romans ou nouvelles seront adaptés pour le cinéma ou la télévision : La bavure, Le squale, Morte fontaine, La nuit rouge, Des croix sur la mer, La fiancée (nouvelle, trois fois).
C’est à Douarnenez que Jean-François Coatmeur réservera sa dernière intervention publique le 7 juillet 2013 par un émouvant discours, témoignage en hommage à son oncle Alfred Le Guellec et à son épouse Augustine, proclamés « Justes parmi les Nations » pour avoir, au péril de leur vie, sauvé des juifs pendant la guerre 1939-1945. « Je sais que son souhait le plus constant était de retrouver pour sa dernière escale le terreau de ses jeunes années. Les turbulences de la vie ne l’auront pas permis. Mais la belle cérémonie de ce jour, à un simple vol de mouette de la maison du père, me réconforte et me rassure. Dors en paix, tonton Alfred : tu vois, te voici revenu chez les tiens. » (Voir le texte intégral du discours et la vidéo).
Comme son oncle Alfred, Jean-François Coatmeur souhaitait que sa « dernière escale » soit le « pays » de Jeannot. Décédé le 11 décembre 2017 à 92 ans, Jean Coatmeur est inhumé dans la tombe familiale avec ses parents et sa sœur dans le cimetière de Pouldavid. Le 25 janvier 2020, François Cuillandre, maire de Brest inaugure la Place Jean-François Coatmeur située en cœur de la ville au bas de la rue de Siam. Douarnenez n’a pas eu pareille reconnaissance envers son enfant…