5 questions à propos de l’Ouest Barbare (Dialogues 22 juin 2012)
Un après-midi de ce vendredi 22 juin 2012, la librairie Dialogues de Brest a organisé une rencontre entre Jean-François Coatmeur et ses lecteurs. Occasion de mettre l’auteur des Sirènes de minuit sur le gril au sujet de son dernier ouvrage l’Ouest Barbare, sorti quelques jours auparavant.
Jean-François Coatmeur, bonjour et merci de votre présence à la librairie Dialogues. Vous êtes venu nous parler de votre tout nouveau livre paru aux éditions Albin Michel le 30 mai dernier, l’Ouest barbare.
Nous sommes en septembre 1938, dans un village du Finistère qui s’appelle Pouldavid. Jérôme Le Gallès est accusé d’un crime, celui de son beau-père, qu’il nie avoir commis. A à la faveur d’un transfert de prisonniers, 18 mois plus tard, Il parvient à s’échapper en compagnie d’un autre détenu. Mais avant de tenter un départ pour l’Angleterre, il n’a qu’une obsession : revoir sa femme tant aimée, Tania. Monsieur Coatmeur vous dédiez votre livre au village de Pouldavid, dans lequel l’histoire est ancrée d’ailleurs. Que représente cet endroit pour vous ?
Jean-François Coatmeur : Tout… Beaucoup en tout cas, puisque Pouldavid, qu’on appelait d’ailleurs à l’époque Pouldavid sur Mer, c’est déjà une indication, était un petit port de pêche. C’était aussi une commune indépendante de la périphérie de Douarnenez, comme Tréboul et Ploaré, toutes communes qui, à la Libération, ont été rattachée administrativement à Douarnenez. Ça, c’était l’évolution normale des choses.
Ce pourquoi j’ai à dire, c’est le crime
Par contre, ce qui était anormal, ce qui n’était pas attendu, c’est que dans les années 60, il a pris fantaisie à quelqu’un (que je ne connais pas et que je ne tiens pas à connaître) de boucher la mer, d’exproprier la mer, c’est le mot. , Un endroit qui était fait pour ce qui ce qu’on a vu apparaître quelques années plus tard un peu plus loin, toutes les activités liées à la mer. Peut-être plus le port en tant que port de pêche, mais en tant que port de plaisance. Il débouche au bout directement sur la partie où on a bâti le musée, le port-musée de Douarnenez. Il y a le pont de chemin de fer qui est entre les deux. Et donc à marée haute, il y avait de l’eau, et quand, avec la marée, la mer se retirait, c’’était une vasière qui, pour le gosse que j’étais, était un merveilleux endroit pour les Jeux.
Dialogues : C’est donc le village dans lequel vous avez vécu enfant ?
JFC : Absolument, d’où ma tristesse et ma colère aussi, bien sûr impuissante, quand je vois ce qu’on a fait de ce petit port. Vous savez, on a bouché et on n’a gardé qu’un petit boyau pour laisser passer la rivière…Et on a dessus construit d’un côté des HLM, et de l’autre côté, on a fait une petite zone industrielle. C’est vous-vous rendez compte ? Celui qui faisait du bateau de voir maintenant des maisons, des barres d’immeubles et de l’autre côté, des ateliers…
D : Aujourd’hui, c’est Douarnenez ?
JFC : Oui, mais ça, c’est une autre chose. Je l’ai dit et ça, c’était bon. C’était une recomposition qui a eu lieu à la Libération, comme il y a eu à Brest par exemple, Lambézellec, etc. ça a été rattaché. Là, il n’y a rien à dire. Mais ce pourquoi j’ai à dire, c’est le crime, car pour moi, c’est un crime, qu’on a commis. Quand on a exproprié la mer ! On parle d’expropriation, plutôt des personnes, mais là, c’est la mer qui a été expropriée !
D : En parlant de crime, pour en revenir à votre dernier livre, l’Ouest barbare, pourquoi ce titre choc ?
JFC : Je pourrais vous dire qu’il est expliqué de cette manière dans le livre, mais je ne vais pas faire le béta. C’est un des personnages, le personnage principal, qui est qui parle d’ouest barbare. Pour lui, l’ouest, et pour son compagnon aussi, c’était une sorte de paradis attendu, au bout de la route. Le paradis pour le héros principalement, qui veut revoir sa femme, qui veut revoir son petit pays aussi ; avant peut être de partir, puisqu’il décidera, à un moment de partir en Angleterre (nous sommes en 40), c’était donc le paradis mais il s’est passé tellement de choses affreuses dans son petit paradis que pour lui, il le dit à la fin, ce n’est plus l’Ouest Paradis rêvé, c’est l’Ouest barbare contre sa propre famille, contre sa femme qui a été sauvagement assassinée (elle le méritait, dans un certain sens, puisqu’elle n’avait pas eu une conduite très exemplaire), contre l’amant de sa femme qui a été tué aussi chez lui, dans sa maison. Et puis aussi contre d’autres événements qui se sont passés dans l’Ouest, pas seulement à Pouldavid, mais à la périphérie, dans Douarnenez : l’exécution barbare encore d’un personnage de l’histoire, un des deux fugitifs, massacré sur les quais de Douarnenez parce qu’il avait le malheur non pas de parler allemand, mais de parler l’alsacien. Donc, cette barbarie qui s’est passée dans un endroit qui, pour lui, était synonyme de paradis, qui explique le titre d’Ouest Barbare.
D : Votre roman commence aux prémices de la Seconde Guerre mondiale, en 1938. Vous avez déjà écrit sur la période de la guerre dans un récit inspiré de votre propre histoire, Des Croix sur la mer, que vous avez écrit en 1991 mais qui se passe en 1944. Y a-t-il un lien entre les deux livres et pouvez-vous nous en parler ?
JFC : Bien sûr qu’il y a un lien entre les deux livres, puisque on retrouve dans l’Ouest barbare un personnage, la petite Marie. C’est une jeune femme, que le fugitif rencontrera sur une des routes de l’exode. Or, cette jeune femme, nous la retrouvons dans le livre que vous citez Des croix sur la mer en 1944. Elle s’est installée finalement à un bout de la ville pour des raisons qui sont d’ailleurs un peu annoncées dans le livre : sympathie pour le personnage rencontré sur la route, le fait qu’il avait parlé avec chaleur de son village natal…Elle va là-bas en pensant y trouver le refuge qu’elle n’a pas trouvé ailleurs. Elle voulait aller à Nantes, et puis elle ne peut pas le faire. Donc elle va se replier sur le village, dont son compagnon de rencontre qu’elle a vu quelques heures lui a parlé. Il y a donc un lien évident entre la Marie Des Croix sur la mer qui, quatre ans plus tard, va elle-même être embringuée, si je puis dire, dans une affaire assez extraordinaire, puisqu’elle va subir les foudres de la résistance à propos de son attitude qui n’a pas été très exemplaire pendant la guerre. Elle sera tondue comme pas mal de malheureuses à l’époque. C’est cette petite Marie qui, quatre ans avant, fait la rencontre du personnage principal. Donc il y a un lien évident, oui.
L’humanité, c’est une constante, je crois, dans mes livres
D : Pourriez-vous dire que Jérôme Le Gallès vous ressemble par certains traits de sa personnalité ?
JFC : Je crois que tous les personnages dans mes histoires me ressemblent, d’une manière ou d’une autre, même les truands ! Quelqu’un faisait remarquer récemment dans une chronique qui m’a été consacrée – et je trouve qu’il a bien vu – que chez les deux personnages qui vont traverser la France vers l’Ouest barbare, le personnage dont parlait et son compagnon de misère qui est un malfrat, même chez ce malfrat qui n’hésite pas à tuer, il y a de l’humanisme. Et j’ai été vraiment très touché par cette chronique, qui faisaient ressortir cet aspect d’humanité même chez les êtres tombés, le plus bas. C’est ce qui est une constante, je crois, dans mes livres.
D : Vous est-il arrivé, par exemple, de ressentir une profonde empathie pour les victimes que vous aviez créé ?
JFC : Toujours, et puisque maintenant le mot est à la mode de l’empathie, moi, je dirais sympathie, voire affection, attachement pour les personnages, bons et mauvais. Peut-être plus bien sûr, pour les personnages qui sont des personnages correspondant à mes choix. Mais je viens de le dire, tous les personnages que j’ai créés, même s’ils ont des attitudes et des comportements moraux plus que discutables, j’ai pour eux quelque chose et un peu de sympathie pour eux tous.
D : Lorsque vous avez commencé l’écriture de l’Ouest barbare, en connaissiez-vous déjà le dénouement ?
JFC : Ça, c’est une question qui est posée régulièrement…. En fait, quand j’ai commencé à écrire de l’Ouest barbare, je ne connaissais que le départ, je ne connaissais que la cavale et je ne savais pas pourquoi. Je savais qu’il y avait un type bien. Il y a donc le Jérôme de l’histoire et puis un malfrat. Je savais le fait que le fourgon de gendarmerie qui les transportait était bombardé. C’est à dire donc que les deux personnes sont réunis par les hasards de la guerre. Ça, je le savais dès le début. J’avais des notes sur ce compagnonnage un peu particulier depuis longtemps. Mais je ne savais pas pourquoi le héros était là… Donc, pour répondre à votre question, au début de l’histoire, je ne connaissais pas la fin, je ne savais pas. C’est venu peu à peu. Comme souvent, on a des idées, j’avais des idées. Assez tôt, j’ai pensé à un départ vers l’Angleterre puisque c’était l’époque où de nombreux bateaux de pêche essayaient de trouver refuge en Angleterre. Ça, je le savais, mais c’était très vague. Au départ, je ne savais pas exactement comment ça finirait. Je savais que j’allais traverser la France et que le héros avait envie de revoir sa femme Tania. Mais après, je ne savais pas très bien.
D : Cette intrigue est-elle inspirée d’un fait réel ou née de votre entière imagination ?
JFC : Toujours, sinon toujours, très souvent, il y a les deux. Bien sûr, l’imagination joue à plein. Mais des faits réels aussi, oui. Je citerais même des faits qui sont absolument historiques. Par exemple,à un moment donné, on voit une concentration assez extraordinaire de personnes à la recherche d’un parachutiste. Ça, c’est un fait réel auquel j’ai participé. J’avais quatorze ans, donc j’ai été à la chasse au parachutiste. On m’a dit qu’elle n’était qu’une plaisanterie puisqu’il n’y avait jamais eu de parachutiste.
[Enregistré en public le 22 juin 2012, dans les locaux de la librairie Dialogues à Brest. Voir la vidéo de l’interview]