Noir, c’est noir (Breton n° 55, juin 2010)
Le Brestois Jean-François Coatmeur est l’un des maîtres du polar Français. À 85 ans, il signe son 25e roman, Une écharde au cœur, avec toujours la même maîtrise de l’intrigue et le même sens de ta tragédie humaine.
Par Gwénaëlle Loaëc PHOTO Gwénaël Saliou
Breton n° 55, juin 2010
L’engrenage infernal. Toujours. il suffira d’une rencontre fortuite sur une route déserte pour que Le destin de Gwen, tout droit sorti de prison, soit lié à celui de Mara, tout juste rescapée d’une tentative de meurtre. Qui veut La peau de Mara ? Ensemble, ils dénoueront les fils de la machination. Mensonges, lâcheté, vengeances. L’atmosphère est étouffante. La conspiration diabolique. Mais l’écriture élégante et Les personnages fragiles. Et le lecteur, tenu en haleine, se balade, entre quelques échappées dans la Sarthe, de Quimper à Douarnenez.
Une fois encore, La Bretagne sert de toile de fond au roman de Coatmeur. Est-ce parce qu’elle sied particulièrement aux histoires Les plus sombres ? « Non. Je ne suis pas avantagé en écrivant des romans policiers qui se passent en Bretagne, car ce n’est pas un pays de truands et de règlements de compte. Mais il y a tout [e reste. J’y vis et je m’y sens bien » En situant son roman à Pouldavid, un quartier de Douarnenez, [‘auteur qui vit è Brest depuis 45 ans rend ainsi hommage au port de son enfance.
Rencontre décisive avec Narcejac
C’est ici qu’il a grandi, entre un père livreur de bières et une mère ouvrière dans une conserverie de poissons. « Une époque bénie », avant ses sept années de purgatoire au Petit séminaire de Pont-Croix : « Sept années d’enfermement pendant lesquelles j’ai été formé, mais aussi beaucoup déformé. 0n y apprenait le grec et le latin, ce qui a formé l’écrivain. Mais, je l’ai appris à mes dépens, [‘enseignement y était formaliste et sclérosant. 0n était complètement en marge de La vie ». S’il envisage, un temps, de devenir prêtre, il choisit finalement de poursuivre des études supérieures de lettres classiques, puis enseigne à Calais, Brest et Abidjan. Un métier qui [ui donnera la liberté d’écrire. « Je ne voutais pas vivre de ma plume. Ayant voulu fonder une famille, je ne pouvais pas la soumettre aux aléas de la condition d’artiste ». Josette, son épouse depuis 58 ans, est sa première et plus fidèle lectrice.
Car depuis ses 11 ans et sa découverte de Maupassant, Jean-François Coatmeur se rêvait écrivain. Mais alors, comment ce fin Lettré, nourri de culture classique, a-t-il embrassé un genre [longtemps méprisé ? Ce sera le hasard, doublé d’une rencontre déterminante, en 1958, avec Thomas Narcejac, maître du roman policier et complice de Pierre Boiteau, qui décèle en lui des prédispositions au maniement de t’intrigue. « Jusqu’à sa mort, Narcejac sera mon ami », explique celui qui entretiendra avec lui une longue correspondance, faite de critiques sévères, de compliments et d’encouragements.
Un genre méprisé
C’est l’auteur à succès qui conseille aussi au jeune Coatmeur de publier chez Denoël. Sa carrière est alors lancée, et ponctuée depuis par de nombreux best-setters, des traductions, des adaptations cinématographiques, et couronnée de prix prestigieux : le grand prix de la littérature policière pour Les sirènes de minuit, le prix mystère de la critique pour La bavure, le prix Bretagne pour Les croix sur La mer, entre autres. Et depuis 1992, il a rejoint La très réputée collection Spécial. Suspense d’Albin Michel, « où j’ai [‘honneur de figurer parmi les très rares auteurs français », explique celui qui s’est imposé comme un maître incontestable et incontournable du roman noir.
Mais si Jean-François Coatmeur maîtrise l’art du suspense, son œuvre dépasse largement les poncifs habituels. « Ce genre est méprisé. Et j’ai toujours pensé que, dans le roman policier, il y avait quelque chose de mécanique et d’artificiel qui ne me satisfaisait pas. J’ai essayé d’apprendre les ficelles du métier pour y mettre autre chose. Les enquêtes de police me barbent. Ce qui m’intéresse, c’est [‘homme. » Alors, chez Coatmeur, les personnages, des gens ordinaires à qui il arrive des choses extraordinaires, ont une vraie densité. Il fouille leur personnalité et leur côté sombre, en les confrontant à la loi, à la société, à leur propre conscience… et tente ainsi de décrypter tes mécanismes qui font qu’un être humain peut s’effondrer. « J’ai cette conviction que nous pouvons tous nous retrouver dans une situation qui fait que des gens normaux commettent des horreurs. 0n a tous la possibilité de déraper un jour. Personne n’est à l’abri. » L’intrigue pour Coatmeur n’est donc qu’un prétexte pour faire passer ses idées et son regard sur [e monde. Un regard pessimiste ? « 0ui, mais un pessimiste tempéré. Car je crois profondément à t’idée qu’aussi mauvais que nous soyons, l’homme n’est jamais perdu tout à fait. Il y a une petite lumière qui peut naître, et des promesses de possibilité de rédemption. C’est pessimiste, mais pas désespéré. »
« L’ange et la bête »
Son sens aigu de La tragédie humaine, Jean-François Coatmeur le doit à un évènement marquant de son adolescence. Il a 18 ans, te 5 août 1945, quand il est arrêté et retenu en otage, avec quelques compagnons d’infortune, par une patrouille de soldats allemands fuyant [‘offensive alliée. « Certainement que ces sept heures passées au mur n’ont pas été sans importance pour l’évolution de ma pensée. Ces sept heures au mur m’ont permis de voir des actions vites et détestables de l’homme, mais des choses admirables aussi. J’ai vu l’homme et ce qu’il est : l’ange et la bête. Il y a des situations où il faut être ou salaud ou héros. Sans la guerre, des gens auraient mené des vies tranquilles. Et la guerre a fait que certains sont devenus des héros, d’autres des pauvres types. Dans mes histoires, c’est pareil : il y a des gens ordinaires, et puis des circonstances exceptionnelles font qu’ils basculent d’un côté ou de l’autre. »