Tapuscrit de la pièce Le bon Dieu avec nous (page 23)

Le bon Dieu avec nous

[Temps de lecture : 19 minutes]

1955, Jean-François écrit une pièce radiophonique qu’il destine à l’émission « Faits divers » de La chaine parisienne, qui deviendra très vite le grand rendez-vous radiophonique du mardi sur Paris-Inter (devenu France-Inter)  sous le nom « Les maître du mystère » sous la direction de Pierre Billard.

Sans doute écrite pendant les congés d’été qu’il passe traditionnellement dans la maison familiale de Pouldavid, l’auteur s’inspire d’un crime assez sordide qui s’est déroulé dans la petite bourgade au débuts des années 1910 : le crime de Kerarho.

C’est finalement le 24 avril 1956, et sur les ondes de Radio Bretagne que la pièce sera diffusée.

Tapuscrit de la pièce Le bon Dieu avec nous (page 1)

1ère page du tapuscrit de la pièce Le bon Dieu avec nous

Diffusion : 24 avril 1956 sur Radio Bretagne

Texte intégral de la pièce

Le bon Dieu avec nous, pièce radiophonique de Jean-François Coatmeur (1956)

  

Origine de la pièce

Un fait divers survenu dans la nuit du samedi 8 octobre 1910 à Kerharo, à Pouldavid.

Coupures de presse

L'Ouest-Eclair du 19 octobre 1910   

Lundi 10 octobre 1910 une brève page 4 de L'Ouest-Eclair

Lundi 10 octobre 1910 une brève page 4 de L’Ouest-Eclair

Ouest-Eclair 12 octobre 1910 : L'assassinat de Ploiré

Ouest-Eclair 12 octobre 1910, page 4

Trois mois plus tard (!), le procès à la Cour d’assises du Finistère

Ouest-Eclair 12 janvier 1911 : Le crime de Kerharo

Ouest-Eclair 12 janvier 1911, page 5

Ouest-Eclair 13 janvier 1911 : Le crime de Kerharo

Ouest-Eclair 13 janvier 1911, page 4

  

Compte-rendus dans la presse

Le crime

Le Finistère.Samedi 15 octobre 1910
Douarnenez, contremaître d’usine assassiné.

Samedi dernier, M. Rolland CARIOU, 50 ans, contremaître à l’usine HÉNAFF, de Pouldavid, apprenait que sa fille, Mme BANNALEC, domiciliée à Douarnenez, venait de mettre au monde un gros garçon. Le grand-père, tout heureux se rendit aussitôt à Douarnenez et fêta, avec son gendre, la naissance de son petit-fils. Vers 9 h du soir, ayant bu plusieurs petits verres, il reprit gaiement le chemin de Pouldavid. Arrivé au lieu-dit Kerharo, M. CARIOU, se sentant sans doute la tête lourde, s’allongea sur le sol et ne tarda pas à s’endormir. Deux heures plus tard, une bande de jeunes filles et de jeunes gens, parmi lesquels Yves PROVOST 20 ans, inscrit maritime ; Jean Marie JAFFRY, Pascal VELY, Pierre DARCHEN, Vincent GUILLEN et Eugène LE BRUN, passèrent près de M. CARIOU. Ils secouèrent le dormeur, le réveillèrent, mais il ne voulut pas les suivre.
Le lendemain, M. NOUY instituteur à Pouldavid, découvrit le cadavre de M. CARIOU, gisant au milieu d’une mare de sang : le malheureux contremaître avait eu la boite crânienne brisée à coups de sabot ; l’assassin avait, en outre, tailladé le visage de sa victime à l’aide d’un instrument tranchant, couteau ou rasoir. M. RIO, commissaire de police de Douarnenez, avisa immédiatement le parquet de Quimper, qui se rendit sur les lieux avec MM. GIVAIS, commissaire de police mobile, et CHABAS, inspecteur. Ceux-ci commencèrent aussitôt leur enquête.
Après de nombreuses investigations, de nombreux interrogatoires dans les environs de Douarnenez, à Pouldavid notamment, après avoir suivi plusieurs pistes, la brigade mobile porta ses soupçons sur l’un des jeunes gens qui avaient réveillé CARIOU à 11 h du soir : Yves PROVOST, âgé de 20 ans, originaire de Pouldavid, où il habite avec sa mère. Le parquet de Quimper ordonna mardi une perquisition à Pouldavid, chez la mère de PROVOST. On y découvrit des effets fraichement lavés, sur lesquels paraissaient encore quelques taches de sang.
On fit la remarque qu’un seul sabot appartenant à PROVOST se trouvait dans la maison. De plus les magistrats apprirent que ce dernier s’était rendu à Brest, le lendemain du crime, pour s’engager dans la marine, et se trouvait en subsistance au 2è dépôt des équipages de la flotte. En présence de ces découvertes fortement compromettantes, les inspecteurs de la brigade mobile prirent immédiatement le train pour Brest. Dès leur arrivée dans cette ville ils se rendirent au 2è dépôt, où ils trouvèrent PROVOST.
Questionné, le marin commença d’abord par nier sa culpabilité. Mais quelques questions, habilement posées, l’amenèrent à se contredire ; finalement, poussé à bout, il se décida à avouer son crime. Après avoir lardé à coups de couteau le malheureux contremaître CARIOU, il lui avait écrasé la tête à coups de sabot ; puis pour faire disparaître toute trace de son forfait, il avait ensuite brulé sa chaussure. PROVOST a été mis aussitôt en état d’arrestation, puis transféré à Quimper pour comparaître devant le juge d’instruction. On ignore encore les raisons qui ont pu porter PROVOST assassiner M. CARIOU. Sur ce point, le meurtrier garde un silence obstiné. Ajoutons que la victime, qui laisse une veuve et sept enfants, était unanimement estimée à Douarnenez, où la nouvelle du crime a provoqué une profonde émotion.

Le Citoyen du Samedi 15 octobre 1910
L’assassinat d’un contre-maître Un crime à Ploaré. — Enquête difficile. — L’arrestation du coupable.

Dans la nuit de samedi à dimanche, un contre-maître de l’usine de conserves de petits pois Le Hénaff a été assassiné en se rendant à son domicile à Pouldavid. M. Cariou, âgé de 51 ans, père de famille de sept enfants, avait marié sa fille, l’aînée des enfants, l’année dernière. Samedi dernier avait eu lieu le baptême de son petit-fils à Douarnenez. Un peu pris de boisson, M. Cariou, homme très paisible, reprit le soir le chemin de sa maison ; mais, rendu au terre-plein de Kerharo, il se coucha et sommeilla sur l’herbe. À minuit moins un quart, quatre jeunes gens et deux jeunes filles rentrant chez eux le remarquèrent et le réveillèrent pour l’engager à regagner son logis. M. Cariou, fatigué, ne les suivit pas. A minuit sonnant, ainsi qu’en témoigne une dame Larhant, de Terminic, qui entendit ses cris de douleur, il était assassiné avec une sauvagerie et une férocité inimaginables.
La tête du malheureux, dont le cadavre fut découvert le lendemain matin, était horrible à voir. Elle était lardée de coups de couteau. La face était tailladée ; les chairs pendaient ; le nez, les pommettes étaient écrasées, pensa-t-on, sous des coups de sabots. Les yeux étaient sortis de leur orbite. Le fils de la malheureuse victime, dont on conçoit la douleur, fut seul, dans le premier moment, à reconnaître le corps de son père.
Les investigations. Les agents de Douarnenez, sous la direction de M. Rio, le très actif commissaire de police, M. Landreau, maréchal des logis de gendarmerie et ses hommes, procédèrent immédiatement à une première enquête. De son côté, le parquet de Quimper, avisé vers midi, ouvrait sur place une information. Puis ce furent des inspecteurs de la 4e brigade mobile, venus de Nantes, qui entreprirent des investigations rendues très difficiles par les circonstances mêmes où s’était déroulé le drame et le manque de pièces à conviction (arme, vêtement) laissé sur le terrain par l’assassin. Les représentants de la force publique, avec une patience, une ténacité et une intelligence admirables, s’employèrent à reconstituer la scène du crime, à en rechercher le mobile et l’auteur. Celui-ci ne devait pas tarder à tomber entre les mains delà justice. A Brest. Au cours de leurs investigations, les agents de la sûreté avaient été amenés à faire une perquisition chez l’un des jeunes gens qui, vers minuit moins le quart, avaient réveillé Cariou. Ce jeune homme était un nommé Yves Provost, âgé de 20 ans, demeurant chez sa mère à Pouldavid Cette perquisition fut concluante On découvrit en effet des vêtements d’homme fraîchement lavés sur lesquels, cependant, des traces de sang étaient encore visibles Les agents apprirent alors que Provost, qui est inscrit maritime, était parti pour Brest pour s’engager dans la flotte. C’est au 2° dépôt qu’il fut arrêté par M. Givet, sous-chef et Chabas, inspecteur de la police mobile de Nantes. Niant tout d’abord,il a fini par tout avouer. C’est bien lui qui a lardé la victime de nombreux coups de couteaux et qui lui a écrasé la tête à coups de sabots.

Le Citoyen du Samedi 29 octobre 1910
Ploaré.

L’assassinat d’un contre-maître. — L’enquête judiciaire continue toujours au sujet de cette triste affaire. Provost, qui avait fait preuve d’un certain cynisme au moment où il fut arrêté, semble maintenant très affaissé. Il a été conduit à Quimper et incarcéré à la maison d’arrêt. Interrogé de nouveau par les magistrats, le jeune meurtrier a déclaré avoir agi sous l’excitation de la vengeance. Il continue à affirmer qu’il a commis seul le crime abominable qui lui est reproché M. Chauvin, juge d’instruction à Quimper, accompagné de MM. Le Poussin, greffier et Rio, commissaire de police de Douarnenez, ont fait une nouvelle perquisition au domicile de Mme veuve Provost, mère de l’assassin du contre-maître Roland Cariou. Les magistrats ont saisi différents objets qui serviront de pièces à conviction et, notamment, le sabot dont le meurtrier s’est servi pour assommer sa victime.
L’affaire Provost. — L’assassin Provost, actuellement à la prison de Quimper, se porte parfaitement. Il mange, boit et dort très bien, paraissant se soucier fort peu de son crime.

Le jugement

Le Citoyen du Samedi 14 janvier 1911
COUR D’ASSISES du FINISTÈRE Audience du 9 janvier.
La première session des Assises s’est ouverte le lundi 9 janvier à midi, sous la présidence de M. le Conseiller Metteval, de la Cour d’appel de Rennes. Le Meurtre de Ploaré. Nous voici arrivés à l’une des affaires les plus graves de la session, au meurtre du malheureux contremaître Cariou qui passionna si justement, au mois d’octobre dernier, l’opinion publique. Dès l’ouverture de l’audience, l’affluence est énorme au Palais de Justice. On se presse dans le prétoire, jusque dans les couloirs, où un service d’ordre vraiment insuffisant — signalons-le en passant— ne parvient même plus à assurer l’entrée de la salle d’audience aux membres du bureau ou aux journalistes. Rappelons brièvement les faits. Dans la soirée du 8 octobre 1910, vers onze heures et demie du soir, un groupe de jeunes gens, qui revenaient de Douarnenez à Pouldavid, trouvaient couché à terre, dans un terrain vague bordant la grève et voisin du village de Kerharo, le sieur Cariou, contremaître d’usine, qui était en état d’ivresse, et qu’ils essayèrent de relever et de ramener à son domicile. Le lendemain matin, on trouvait, au même endroit, le cadavre de Cariou la tête affreusement mutilée, portait des traces de violences exercées avec une brutalité inouïe; les os du front, du nez et de la face, avaient été fracassés à l’aide d’un instrument contondant, manié avec force par le meurtrier, qui s’était manifestement acharné sur sa victime. L’enquête ne tarda pas à révéler que, parmi les jeunes gens qui avaient rencontré Cariou dormant dans le terrain vague de Kerharo, se trouvait le nommé Yves-François Provost, âgé de 20 ans, pécheur à Pouldavid, qui était rentré à son domicilié avec des vêtements couverts de sang et qui, dès le lendemain, avait pris le train pour Brest, et y avait précipitamment contracté un engagement dans les équipages de la flotte. Provost dût reconnaître qu’ayant laissé ses compagnons continuer leur route, après leur rencontre avec Cariou, il était revenu vers celui-ci et avait encore essayé de le ramener chez lui. Exaspéré par sa résistance, il avait frappé Cariou et, s’étant armé d’un de ses sabots, lui avait porté au visage les coups violents qui ont occasionné la mort. L’accusé, Yves-François Provost, n’est âgé que de 20 ans; il est marin-pêcheur et habite à Pouldavid. C’est un individu de taille moyenne, bâti en force, dont le faciès bestial et féroce indique le caractère brutal. Durant les débats, il conserve une attitude sournoise et impassible peu faite pour lui attirer la pitié des assistants. Me Alizon est assis au banc de la défense. M. le procureur Mazeaud occupe le siège du ministère public. M. le Président procède à l’interrogatoire de Provost. En passant, il indique aux jurés que les renseignements recueillis sur lui sont contradictoires. Il est cependant considéré généralement comme irascible et sournois.
D. — Vous êtes violent et querelleur. Le 3 octobre dernier, vous avez frappé brutalement un de vos camarades. Quelle était la raison de cet acte ?
R. — Je ne sais pas.
Sur demande du président, Provost reconnaît que, depuis la mort de son père, il s’adonnait à la boisson. On arrive aux faits de l’accusation ; et Provost, d’une voix que ne trouble pas la moindre émotion, répond laconiquement à tout, sans chercher à expliquer ni à atténuer son acte odieux. M. le Président. — Vous avez frappé le malheureux Cariou d’une vingtaine de coups qui ont amené sa mort.
Provost ne répond plus. Les yeux faux, la lèvre impassible, il reprend son attitude de brute traquée, et qui attend le coup de grâce.
LES TÉMOINS : Les témoins, dans cette retentissante affaire, ne sont pas moins de 27. On entend, dans la soirée, plusieurs pêcheurs qui trouvèrent Cariou couché dans le terrain vague de Kerharo et l’audience est levée à 7 heures.
Audience du 12. L’audience s’ouvre à 9 heures du matin. L’affluence est toujours énorme. Des environs de Douarnenez, où le «père Cariou» était très connu et estimé, nombreuses sont les personnes qui sont venues suivre les péripéties de l’affaire. Le long défilé des témoins recommence. Ce sont des femmes d’usine, des agents de Douarnenez. La déposition de Mme Arhan, repasseuse à Pouldavid, est particulièrement émouvante. C’est cette femme qui, à six cents mètres du lieu du crime, entendit, dans la nuit, les injures criées par le meurtrier et jusqu’aux coups sourds des sabots frappant, martelant le crâne du malheureux contremaître! Le brigadier Le Gouill, de Douarnenez, a vu Provost le lendemain du crime sur les lieux mêmes où il venait d’être commis. I1 disait à qui voulait l’entendre : «Celui qui a commis ce crime devrait être coupé on morceaux. Je voudrais le tenir pour lui régler son compte.» La déposition de Mme Cariou, femme de la victime produit une sensation douloureuse. I.a malheureuse peut à peine parler, tant l’émotion l’étreint à l’évocation du meurtre de son mari.
C’est aussi le docteur Colin, médecin-légiste, qui fait connaître le caractère des blessures reçues par Cariou. Le corps ne portait pas moins de 20 plaies ou fractures. Quant à la face, elle été littéralement défoncée au niveau de la cavité naso-orbitaire.
M. Mazeaud, procureur de la République, dans son réquisitoire serré, fait le récit impressionnant de ce crime abominable et requiert une peine sévère.
Me Alizon, s’efforce dans une plaidoirie qui met en relief son beau talent, de montrer sous un jour plus favorable le jeune meurtrier qu’il a la charge de défendre. Il plaide des circonstances atténuantes en raison de son âge.
LE VERDICT Après une assez courte délibération le Jury rentre à l’audience avec un verdict affirmatif mitigé par des circonstances atténuantes. En conséquence, Provost est condamné à HUIT ANS DE RECLUSION. A 7 heures, l’audience est levée et la sortie s’effectue sans incident.

L’Ouest-Éclair Lundi 26 décembre 1910
Prochaines assises du Finistère

La session des Assises du Finistère doit s’ouvrir à Quimper le 9 janvier prochain. Au cours de cette session trois affaires importantes seront soumises à la décision des jurés de la Cour. C’est d’abord l’affaire relative à ce crime monstrueux d’un jeune homme, commis sur les confins des communes de Ploaré, de Douarnenez et du hameau de Pouldavid, au lieu-dit Kerharo.
Nos lecteurs se rappellent encore les circonstances de ce meurtre accompli avec une sauvagerie inouïe, au milieu de la nuit du 8 au 9 octobre dernier, par le nommé Yves PROVOST qui, rencontrant Rolland CARIOU assis sur le bord d’une carrière, et voulant de toute force le faire rentrer chez lui, lui défonça le crâne à coups de sabot. Deux jours après, le meurtrier grâce à la sagacité des agents de la brigade mobile de Nantes, était arrêté à la caserne des équipages de la flotte à Brest, où il était allé contracter un engagement. Depuis son arrestation, le meurtrier a gardé en toutes circonstances une attitude cynique, semblant ne point regretter son abominable forfait.

L’Ouest-Éclair. Jeudi 12 janvier 1911
Assise du Finistère : Le Crime de Kerharo.

Cette affaire pourrait être intitulée : « Le crime d’une brute ». C’est en effet, comme nos lecteurs se le rappellent, l’acte sauvage accompli par un être dont l’alcool a pour ainsi dire aveuglé la raison. L’accusé, Yves François PROVOST qui n’est âgé que de 20 ans, était marin-pêcheur de profession, mais est actuellement marin de l’État, ayant contracté un engagement quelques jours après son forfait. C’est un gaillard bien constitué, bien musclé, à l’oeil mauvais. Il a l’air cynique, rien ne semble l’émouvoir ; son attitude depuis son arrestation n’a pas varié. Il demeure froid, semblant inconscient du meurtre qu’il a commis. Mtre ALIZON est assis au banc de la défense et va avoir la lourde tâche d’essayer d’apitoyer les jurés sur le sort de son peu recommandable client. M. le procureur MAZEAUD occupe le siège du ministère public.
L’acte d’accusation. Dans la soirée du 8 octobre 1910, vers 11 heures et demie du soir, un groupe de jeune gens qui revenaient de Douarnenez à Pouldavid, trouvaient couché à terre, dans un terrain vague bordant la grève et voisin du village de Kerharo, M. CARIOU, contremaître d’usine, qui était en état d’ivresse et qu’ils essayèrent de relever et de ramener à son domicile. Le lendemain matin, on trouvait au même endroit le cadavre de CARIOU ; la tête, affreusement mutilée, portait des traces de violences exercées avec une brutalité inouïe : les os du front, du nez, et de la face avaient été fracassés à l’aide d’un instrument contondant manié avec force par le meurtrier qui s’était manifestement acharné sur sa victime. L’enquête ne tarda pas à relever que parmi les jeunes gens qui avaient rencontré CARIOU dormant dans le terrain vague de Kerharo, se trouvait le nommé Yves François CARIOU, âgé de 20 ans, pêcheur à Pouldavid, qui était rentré à son domicile avec des vêtements couverts de sang et qui, dès le lendemain, avait pris le train pour Brest, afin de contracter un engagement dans les équipages de la flotte. Son arrestation se fit au 2è dépôts des équipages de la flotte à Brest, quelques jours après le meurtre. PROVOST dut reconnaître que, ayant laissé ses compagnons continuer leur route après leur rencontre avec CARIOU. Il était revenu vers celui-ci et avait encore essayé de le ramener chez lui. Exaspéré par sa résistance, il avait frappé CARIOU et, s’étant armé d’un de ses sabots, lui avait porté au visage les coups violents qui ont occasionné la mort. PROVOST allègue pour sa défense que, lorsqu’il voulut soulever CARIOU, celui-ci lui avait donné une gifle. Il résulte de l’information que l’accusé, sans être en état d’ivresse, était cependant excité par la boisson. Il est extrêmement brutal et redouté. L’interrogatoire. Le président présente l’accusé come sournois, violent et agité, surtout quand il avait bu. Il faisait beaucoup de misère à sa mère. Il interroge l’accusé sur l’emploi de son temps et fait connaître les stations faites par lui dans les cabarets jusqu’à son arrivée à Kerharo, où il trouva le malheureux CARIOU couché à terre.
D.- En vous rendant à Pouldavid, vous avez insulté une jeune fille ?
R.- C’est vrai.
D.- Vous avez été rejoint par des camarades et un groupe de jeunes filles. Vous avez trouvé un homme couché à terre ; vous avez dit vouloir connaitre qui il était et le conduire jusque chez lui ? R.- Oui.
D.- L’information vous dira qu’à ce moment vous n’étiez pas ivre pour ne pas savoir ce que vous avez fait. Qu’avez-vous fait alors ?
R.- Je suis revenu vers CARIOU : je ne sais pas pourquoi je l’ai frappé.
A ce moment le président fait passer aux jurés la photographie représentant le malheureux CARIOU : il déclare que s’il le fait, ce n’est pas pour impressionner les jurés.
D.- Vous avez prétendu que CARIOU vous avait donné une gifle, et vous l’avez frappé à coup de sabots ?
R.- Oui.
D.- Il a dû y avoir lutte ?
R.- Oui.
D.- Vous avez frappé avec une brutalité inouïe, à tel point que les coups ont été entendus à 600 mètres. Vous avez écrasé complètement la face de CARIOU. Est-ce vrai ?
R.- Oui.
D.- Vous l’avez frappé, d’une façon sauvage, d’une vingtaine de coups de sabots qui ont amené la mort. Il y a eu lutte ? Vous n’en portez pas les traces ?
R.- Non.
D.-Le lendemain, votre mère, en apprenant la découverte du cadavre de CARIOU vous a soupçonné. Vous avez avoué être l’auteur de la mort ?
R.- Oui.
Le reste de l’interrogatoire a trait à l’impression produite sur l’accusé par la découverte du crime, ses réflexions au bureau de police et enfin son arrestation.
Les témoins. Après M. GUYADER, gendarme, et M. RIO commissaire de police à Douarnenez, qui résument les faits ainsi que les résultats de l’enquête laborieuse à laquelle ils se sont respectivement livrés, on entend M. Jean JAFFRAY, pêcheur à Pouldavid, qui se trouvait, cette nuit-là en compagnie de plusieurs camarades, quand ils rencontrèrent, dans le terrain vague de Kerharo, le malheureux CARIOU, étendu à terre. Comme l’un d’eux voulait le relever pour le conduire chez lui, CARIOU répondit : « laisser-moi, j’irai seul à la maison ! » Ils n’insistèrent pas et le groupe continua sa route. A sept heures, M. le président lève l’audience qui est renvoyée à jeudi, neuf heures.

Le Finistère. Samedi 14 janvier 1911
Le crime de Ploaré, 5è affaire.

Tous nos lecteurs ont encore présentes à la mémoire les circonstances dans lesquelles le contre-maître d’usine CARIOU fut lâchement assassiné par un jeune marin de ÎO ans, Yves François PROVOST originaire de Pouldavid.
Aussi nous bornons-nous à relater succinctement les faits qui constituent l’acte d’accusation. Dans la soirée du 8 octobre 1910, vers 11 h 1/2 du soir, un groupe de jeunes gens, qui revenaient de Douarnenez, trouvaient couché à terre dans un terrain vague bordant la grève, et voisin du village de Kerharo, le sieur CARIOU contre-maître d’usine qui était en état d’ivresse, et qu’ils essayèrent de relever et de ramener à son domicile. Le lendemain matin, on trouvait, au même endroit le cadavre de CARIOU ; la tête affreusement mutilée portait des traces de violences exercées avec une brutalité inouïe ; les os du front, du nez et de la face, avaient été fracassés à l’aide d’un instrument contondant, manié avec force par le meurtrier, qui s’était manifestement acharné sur sa victime. L’enquête ne tarda pas à révéler que parmi les jeunes gens qui avaient rencontré CARIOU dormant dans le terrain vague de Kerharo, se trouvait le nommé Yves François PROVOST âgé de 20 ans pêcheur à Pouldavid, qui était rentré à son domicile avec des vêtements couverts de sang et qui,dès le lendemain avait pris le train pour Brest, pour y contracter un engagement dans les équipages de la flotte. PROVOST dû reconnaître qu’ayant laissé ses compagnons continuer leur route, après leur rencontre avec CARIOU, il était revenu vers celui-ci et avait encore essayé de le ramener chez lui. Exaspéré par sa résistance, il avait frappé CARIOU et, s’étant armé d’un de ses sabots, lui avait porté au visage les coups violents qui ont occasionné la mort. A l’audience, l’accusé qui est bien musclé, suit les débats d’un air calme et intéressé. Le banc de la défense est occupé par Mtre ALIZON. Dans la salle, un public nombreux se presse. PROVOST allègue pour sa défense, que lorsqu’il voulut soulever CARIOU, celui-ci lui avait donné une gifle. Il résulte de l’information que l’accusé, sans être en état d’ivresse le jour du crime, était cependant excité par la boisson. Il est extrêmement brutal et redouté.
M. le président indique aux jurés que les renseignements sur l’accusé sont de deux sortes ; ainsi, on dit qu’il était incapable de commettre un pareil crime ; d’un autre côté on prétend qu’il est violent et que, quand il a bu il aime à se vanter de sa force. Enfin, ses camarades le considèrent comme sournois et agité et que, pour cette raison, ils n’avaient plus continué à le fréquenter. L’accusé ne contestant aucun point de l’interrogatoire, on passe à l’audition des témoins qui sont au nombre de 27. A 6 h. 1/2 l’audience est suspendue et la continuation des débats renvoyée au lendemain matin. Audience du 12 janvier. On s’écrase littéralement dans la salle des assises. On y entre difficilement mais pour en sortir c’est encore pis, sinon impossible. L’audience s’ouvre par la continuation des dépositions des témoins, qui n’apportent que des détails à côté, aucun d’eux n’ayant vu la scène du crime
Marie Louise HÉNAFF femme de la victime, dit peu de chose : « Mon mari avait quitté la maison, le 8 octobre vers 7 h. 1/2 du soir, pour aller chez sa fille à Douarnenez. Ne le voyant pas rentrer, je ne m’en inquiétai pas plus que cela, pensant qu’il était resté passer la nuit chez elle ; aussi qu’elle ne fut pas ma douloureuse surprise quand j’appris qu’il avait été assassiné. » « Mon mari n’avait pas l’habitude de boire, il avait une excellente conduite et je ne lui connaissais pas d’ennemis. »
La douleur de la pauvre femme fait peine à voir. Elle déclare qu’elle reste seule avec ses cinq enfants, dont l’ainé n’a que 9 ans, et qu’elle habite actuellement à Douarnenez, n’ayant pu se résigner à rester dans la maison qu’elle habitait autrefois avec son mari, et qui lui rappelle de si cruels souvenirs. Enfin M. le docteur COLIN médecin légiste, fait connaître dans un exposé très lumineux, les constatations qu’il a relevées en pratiquant l’autopsie. Le corps ne portait pas moins de cinq plaies ou fractures.
Réquisitoire. Au milieu d’une vive attention de l’auditoire le procureur de la République, M. MAZEAUD, commence son réquisitoire. L’honorable magistrat dépeint le caractère de PROVOST, violent, emporté, brutal ; ni ses parents, ni ses proches n’ont été à l’abri de ses coups. Il a osé le misérable, lever la main sur sa mère. Il frappe brutalement sans raison, sans motif. L’organe de l’accusation fait ensuite un tableau saisissant de la scène abominable accomplie en pleine nuit, sur cette plaine déserte et désormais sinistre de Kerharo, puis il met à nu l’âme du meurtrier qui après le crime, n’a témoigné ni pitié ni remords. PROVOST n’est pas un être brutal impulsif, c’est un garçon intelligent qui a tout fait pour se soustraire au châtiment. M. MAZEAUD déclare en toute franchise qu’il ne voit aucune atténuation dans ce crime monstrueux.
Défense.
Le distingué Mtre ALIZON se lève à son tour pour présenter la défense de l’accusé.
« PROVOST dit-il, a été le jouet de circonstances indépendantes de sa volonté. Il a agi dans un accès de fureur sous l’empire de la colère qui n’est qu’une courte folie, surtout quand elle se déchaîne dans un cerveau déjà ravagé par l’alcool. En un mot, il n’était pas dans un état normal. Il a frappé pour frapper, et non pour tuer ».
Telle est la thèse que l’honorable défenseur développe avec une grande puissance d’arguments et avec une grande logique jointe à un talent consommé. Plaidant les circonstances atténuantes, le défenseur invoque la jeunesse de l’accusé. Pendant que son défenseur s’exprimait ainsi, PROVOST qui jusqu’à ce moment avait eu une attitude déplorable, se met à manifester subitement des regrets et verse des larmes qui paraissent sincères. Après une réplique du ministère public et de la défense, le jury se retire pour délibérer.
Verdict.
PROVOST reconnu coupable de meurtre, avec circonstances atténuantes, est condamné à 8 ans de réclusion, sans interdiction de séjour. A la sortie de la salle d’audience, le public commente vivement le verdict rapporté par le jury qu’il trouve trop empreint d’indulgence. Néanmoins aucun cri n’est poussé.

Auteur

Auteur de romans policier, Grand prix de littérature policière en 1976 pour Les Sirènes de minuit (Édition Denoël)

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